— contribution de Marc Scheerens.
Episode 6: Bénitier ou baptistère
Le parfum du bain baptismal honore le corps, l’apaise et le prépare
Nos constructions ont gardé, avec les bénitiers, la trace de l’usage ancien. Il y avait un lieu pour célébrer la résurrection – celle de Jésus et la nôtre- et un lieu distinct pour évoquer ce qui la précède : un passage par la mort, mais et qui fait entrer dans la communion des affranchis, des croyants en la vie éternelle. Quand les baptistères ont été intégrés au lieu de culte, ils sont mis souvent près de l’entrée, ou dans une absidiole prévue à cet effet. L’idée du passage d’un état à un autre était ainsi maintenue. Mais qui fait encore le lien entre bénitier et baptistère ? Combien de bénitiers sont vides de tout emploi, comme des chômeurs de longue durée ?
Pourquoi ne pas remettre un baptistère d’une certaine ampleur dans l’entrée, un ‘obstacle’ à franchir, comme un rappel du passage nécessaire ? Ce serait plus opératoire qu’une cuve en cuivre (une ancienne bassine à confiture ?) que l’on place pour l’une autre occasion liturgique ! Ce serait beau si celles et ceux qui vont célébrer les rites de la Parole et du Pain pouvaient se signer solennellement en plongeant la main dans cette eau. Ainsi, serait actualisé leur baptême. Faire un signe de croix, non pas un geste qui ressemble à un chasse-mouche, mains une grande signation personnelle, couvrant tout le corps, celle qui redirait : ‘J’ai revêtu le Christ. Je suis prêt à confesser le Christ’. Le geste personnel a été remplacé dans les liturgies solennelles par l’aspersion de l’assemblée par un célébrant processionnant : la liturgie est un conservatoire des habitudes.
« Le signe de la croix est le signe du chrétien. » (Cf. ‘le petit catéchisme’, héritier du catéchisme du Concile de Trente). Mais il est souvent si peu habité. Deux lignes se croisent et forme une croix. La ligne horizontale, celles des bras ouverts pour embrasser, pour étreindre, pour accueillir l’autre avec sa joie et ses peines. Si la foi sans les œuvres et une foi morte, vivre les bras ouverts (même dans l’obligation d’un crucifié !) le redit et l’affirme. Il y a nécessité d’agir comme ou au nom du Ressuscité. La ligne verticale, des pieds à la tête, montre la tension, la quête d’En-Haut, le désir d’avoir dans la tête et le cœur les sentiments qui étaient ceux de Jésus pour être signe du Père de tous les humains. Se signer ainsi pour se revêtir du Christ avant d’aller, avec d’autres, au banquet qui a été préparé pour nourrir la foi et l’action de chaque croyant.
Chacun l’ayant fait, il ne serait plus nécessaire de le refaire en début de célébration sur l’ordre du célébrant. Il y a d’ailleurs trop de signes de croix au cours de ce rite : l’abondance nuit au sens. Comment pouvons-nous perpétuer que Jésus a béni le pain en faisant une croix dessus alors qu’il n’était pas encore passé par ce supplice qu’il redoutait. Comment aurait-il pu lire dans la potence romaine une divine bénédiction ? Bénir, dans l’origine latine de ce mot, signifie ‘dire du bien’. En ce sens, Dieu seul est béni et objet de toute bénédiction. De lui vient ce lieu où nous vivons et qu’il nous a confié (La terre et tout son peuplement). Vers lui va tout le bien que nous pouvons faire en son nom.
A la fin de la liturgie de la Parole et du Pain (de la Parole prise comme vraie nourriture de l’agir chrétien), ce serait mieux que celui qui préside l’assemblée fasse usage du rite ancien de l’imposition des mains pour redire que chacun se voit ‘imposer’ la mission d’annoncer et qu’il est revêtu pour cela de la force que Dieu donne. D’ailleurs, avec la suppression des confessionnaux, le rituel reprend ce rite pour dire au pénitent relevé qu’il est réintégré dans la mission de l’Eglise confessante. Pourquoi un triple signe de croix est-il devenu privilège de l’évêque quand il ‘bénit’ ‘au nom du Père, du Fils et de l’Esprit’ sinon pour manifester que lui seul a la plénitude du sacerdoce et du pouvoir divin sur son peuple ? Dieu ‘Père, Fils et Esprit’ ou Dieu ‘Origine, Parole et Souffle’ ou ‘mystiquement’ : Dieu en relation comme ‘L’Aimé, l’Aimant et l’Amour’ tout en un ?
Les funérailles en second baptême ?
Le cierge pascal était éteint le jour de l’ascension pour clore le temps pascal et ouvrir les dix jours d’attente du ‘feu nouveau’ de la pentecôte. Des cierges étaient placés sur l’autel : s’ils étaient deux, il s’agissait d’une messe ‘ordinaire’, s’ils étaient quatre d’une messe chantée, s’ils étaient six d’une messe solennelle avec toutes les pompes requises pour le bien du peuple. C’est oublier, qu’au départ, ces cierges n’étaient que des outils pour que le célébrant puisse lire et voir ce qu’il faisait en l’absence de toute autre forme d’éclairage. Etonnement donc : « votre messe est-elle valable : vous n’avez pas allumé de cierge ! » Le cierge pascal est le signe de la lumière plus forte que les ténèbres, de la vie qui triomphe au-delà de la mort. Il a sa place dans une liturgie de funérailles puisqu’il rappelle que cette lumière a été confiée au défunt à son baptême et qu’il est maintenant ‘en pleine lumière’.
Le baptistère a été remplacé par un seau avec un goupillon (La boule avec des trous se remplit de calcaire et parfois la ‘brosse’ a perdu ses poils !). Qui, alors, peut comprendre que le baptême reçu a abouti, que ce baptisé en Christ a maintenant atteint sa plénitude…surtout s’il y a encore la menace d’un purgatoire pour ce que la vie terrestre n’aurait pas expié ? Prendre l’eau avec une fleur dans la cuve baptismale serait plus opératoire et permettrait de faire un lien utile entre commencement et aboutissement d’une vie croyante.
Episode 5 – ressuscité
En mélangeant, retrouver le sens caché. « Par le baptême, tu es configuré au Christ, mort et ressuscité. »
Pratique:
Ces cris d’un enfant présenté au baptême me restent en mémoire. Ce fut un moment conflictuel, une violence faite à un enfant peu préparé. Au moment du rite – mais ce n’était plus un enfant au sens propre du mot ‘in fans’ = qui ne parle pas ! – le prêtre dit : ‘Je te baptise au nom du Père…’ ‘Veux pas !’…et du Fils…’Veux pas !’… et du Saint-Esprit…’Veux pas !’. Et pourtant baptisé, il l’était bien puisque l’acte liturgique avait été fait ! Baptisé sans le vouloir, il l’était bel et bien ! J’ai vu ce prêtre oindre le front de l’enfant avec le ‘chrême’ et le sacristain essuyer aussitôt (le ‘gras’ pourrait tacher le vêtement blanc dont le bébé était déjà revêtu !). J’ai vu un parrain recevoir le cierge avec la lumière prise au cierge pascal, signe de sa mission, et le souffler aussitôt parce qu’il ne savait pas qu’en faire. Ce cierge jamais rallumé irait dans le tiroir à souvenir au cas où…
Quelles leçons en tirer ? J’avais obtenu que le conseil décanal s’accorde pour proposer (difficilement) de ne pas baptiser un enfant en dessous de deux ans et même d’attendre un meilleur âge, quand il y aurait ‘mémoire’ du rite imposé et explication. A quelques-uns, nous proposions un baptême par ‘étapes’, en accompagnant la croissance pour arriver à un acte libre : ‘Je veux bien !’.
Lors des rencontres de préparation, la présentation du baptistère comme le symbole du tombeau (vide et ouvert) du Christ était très mal perçu : il donnait l’impression de ‘tuer’ l’enfant (qui est pourtant un ‘condamné à mort’ depuis le jour de sa conception !) alors que ce qui était voulu était une protection par un acte qui apaiserait Dieu d’une possible colère mortifère, tout humain héritant du péché des parents qui ont mélangé leurs sexes !
J’avais été autorisé par l’équipe pastorale à faire évoluer la pratique liturgique. Le baptême serait conféré, après préparation des proches lors d’une des assemblées dominicales (pendant la ‘messe’ !). Ce ne furent pas toujours des moments heureux ! Venaient à l’assemblée des membres de la famille qui n’avaient plus aucune habitude de fréquenter un culte… Ils y venaient de façon ‘profane’, comme à un spectacle, certain sortant avant la fin puis rentrant une fois la cigarette fumée ! D’autres n’avaient pas la ‘classe’ requise ni le vêtement selon les codes de bienséance… Comment éduquer une assemblée à sa mission, héritée du comportement de Jésus, de bienveillance et de miséricorde, en adaptant sa pratique liturgique à un accueil bienveillant et accompagnant?
Progressivement, j’avais établi une action liturgique en différentes étapes. La première consistait à accueillir les parents dans l’assemblée ‘comme des catéchumènes’ en réduisant le nombre des lectures prescrites. L’évangile du jour avait fait l’objet d’une première écoute lors de la préparation. Lire (parfois mal) des textes très anciens sans préparation serait courir le risque d’un rejet par un afflux de mots sans enracinement. Le commentaire conduisait les parents demandeurs à dire ce qu’ils attendaient et ce qu’ils espéraient de l’acte posé, leur ‘foi’ en quelques sorte. L’assemblée ensuite proclamait la foi de l’Eglise, celle dont tous étaient responsables en paroles et en actes. Dans ces ‘fois’ exprimées, le candidat sera baptisé. Quand parrains et marraines étaient mieux animés d’une foi vécue, je les invitais à compléter l’eau du baptême par un peu de leur eau, de cette foi personnelle avec laquelle ils voulaient ‘mouiller’ l’enfant. Quand venait le moment où l’enfant serait touché par l’eau, je disais : ‘A la demande de tes parents et au nom de cette assemblée croyante, je te mouille de la foi qui nous habite, au Nom du Père, du Fils et du St-Esprit’. Puis, prenant l’enfant des mains des parents je les invitais à leur tour à prendre un peu d’eau et à dire ‘JE te baptise au Nom…’. Beaucoup m’ont dit combien ce moment était émouvant.
Ensuite, j’appelais parrains et marraines. Je ‘oignais’ leurs mains : ’Laissez vous imprégner par l’Esprit de Jésus pour être son témoin auprès de cet enfant’. Et puis : ‘Posez la main ointe sur le front de l’enfant, comme un engagement dans la tendresse’. Selon le canon, le prêtre fait l’onction : ‘Reçois’ l’Esprit-Saint…’ en sachant que cela ne fonctionnera pas puisque la confirmation appartient à l’Evêque. Il fallait sortir de cette duplicité d’un rite vide mais conservé en souvenance de la pratique ancienne. Un accompagnement progressif devrait mettre en évidence le temps nécessaire pour passer de chrétien confirmé (dans la foi des parrains témoins de l’Eglise) à chrétien affirmé par un engagement pris devant l’Evêque de participer à la mission d’annoncer Jésus, mort et ressuscité, en pratiquant la charité qui en est le signe efficace.
Les parrains prenaient la lumière au cierge pascal et la déposait sur l’autel. La chorale chantait : ‘Tu es reconnu enfant de Dieu et frère de Jésus…’ en place de ‘Tu es devenu…’ pour enlever au rite une puissance magique imaginaire. A la fin de la célébration eucharistique, avant d’envoyer l’assemblée vers sa tâche, je remettais le cierge aux parents. Ils se levaient pour le recevoir. J’étendais les mains sur eux : ‘Sur vous je dépose la tendresse de Dieu. Il vous fait confiance. En utilisant ce cierge pour des moments de prière avec votre enfant vous l’aiderez à grandir dans la foi’. La signature du registre se faisait à l’écart comme un acte secondaire.
J’ai essayé de signifier ainsi la part à prendre par chacun. Je ne pense pas que cela ne survivra pas dans les mains du nouveau cléricalisme qui se fait jour. Ces clercs, interprètes et agents exclusifs de la volonté de Dieu !
Episode 1 – le mot « communion »
Traduction : dans la racine latine = trahir ou livrer. Toute traduction comporterait une trahison, donc il faut creuser.
Aujourd’hui, ma réflexion porte sur le mot : communion.
Quelqu’un, faussement inspiré (?), a transposé communion en commune-union pour renforcer un sentiment d’adhésion : être en union très intime avec le Christ (parfois enfermé dans une hostie).
Or, toujours en latin, munus/muneris, a le sens de ‘salaire ou récompense’. Avec le préfixe cum, il faudrait entendre : salaire commun, même salaire partagé.
En relisant la parabole des ‘ouvriers de la onzième heure’ (Mt, 20 1-16), le mot communion ouvre un autre espace de recherche ou d’appel. Le texte pointe sur la manière dont Dieu seul est juste : il donne tout ce qu’il est de la même manière à chacune et chacun. Il est le ‘salaire’ de tous.
Riche ou pauvre, actif ou passif, prêtre ou laïc, actif très actif ou sympathisant, le ‘patron’ de l’Eglise les regarde du même amour. Il ne peut donner à chacun que ce qu’il est et ce qu’il est indivisible. Il se donne tout entier. Notre valeur à ses yeux ne vient pas de ce que nous produisons et en plus c’est un don ‘gracieux’. Nous pourrions réentendre les mots de Paul pour saisir à plein la gratuité de cette tendresse que Dieu nous voue : l’agapè ne se place pas en banque, ne cherche pas son propre intérêt, ne connait ni inflation, ni déflation… (1 Co,13). L’agapè désigne aussi un repas abondant et fraternel. Il dit qu’un repas fraternel et ouvert à tous, en particulier aux plus pauvres, est nécessaire pour que le rêve d’un amour universel bienfaisant devienne réalité dans le partage de ce qui nourrit aussi le corps. L’agapè grecque (tendresse et fidélité) a été rendu en latin par ‘caritas’, en français ‘charité’ et avec le temps, ce mot s’est affadi. (Cf. ‘faire la charité’ : mettre un sou dans la sébile du pauvre).
Se questionner : si Dieu se donne de la même manière à toutes et tous et ne fonctionne pas au mérite, comment transposer ce fait dans le ‘Culte des saints’ et l’accès à la sainteté reconnue à preuve des miracles accomplis ? Si le repas entre chrétiens est devenu le rite de la messe, que lui manquerait-il pour rendre manifeste que le même salaire, le même traitement par le Maître, suffit à tous et nous fait grande joie ? Quelqu’un faisant irruption de l’extérieur dans cette forme symbolique de repas pris en commun s’exclamerait-il aujourd’hui en sortant ‘Venez voir comme ils s’aiment’ ?
Quand je lis dans certaines chroniques paroissiales en cette période de COVID : « Pour assister à la messe (réduite à 15 participants), il faut téléphoner au secrétariat »’, je suis sidéré…
Faites-vous grand bonheur au long de ce jour !
— Marc Scheerens.
Episode 2 – un langage de paraboles
Mots ‘gâchés’* (suite)
*Comme sont gâchés les ingrédients du mortier ou du plafonnage.
Pour le sens de ‘communion’ (article précédent), com-munio en latin, soit même salaire (munus),
soit même charge (munia). Il est recommandé de mélanger les deux ingrédients.
‘In illo tempore… En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples…’
Ces mots d’introduction à la lecture d’un (petit) morceau d’Evangile nous sont familiers. Mais
pourquoi ne font-ils pas ‘tilt’ ? Pourquoi laisser passer ‘En ce temps-là…’ aussi facilement alors qu’ils
enlèvent au dit toute son actualité : l’évangile c’est du passé ! Nous pourrions préférer :
« Aujourd’hui, écoutons Jésus nous dire… ». Jésus va nous parler, à nous les disciples de ce temps.
S’ajoutent en conclusion « Acclamons la Parole de Dieu ! » Une sacralisation de textes que Dieu n’a
pas écrits mais qui lui sont attribués alors qu’ils s’originent dans plusieurs auteurs, avec parfois des
corrections ou même des révisions. Qui a intérêt à fixer Dieu, son être, sa pensée, dans des mots de
papier, sinon ceux (celles, mais c’est plus rares !) qui veulent commander en son nom par une lecture
étriquée et souvent moralisante ?
‘Evangile de Jésus-Christ selon Marc, Matthieu, Luc, Jean’ : non seulement Jésus n’a rien écrit mais
aucun des auteurs des récits n’a connu Jésus personnellement : ils mettent par écrit et ordonnent,
selon leur ressenti personnel, ce qui circule à propos de Jésus, de ses paroles, de ses actes, dans leur
‘église’ locale. Au moment de la mise par écrit des Evangiles, tous les témoins de sa vie sont passés
avec Jésus auprès du Père. Il semblerait donc plus juste de conclure : « Tels sont les propos du Livre
pour ce jour ».
« Jésus disait à ses disciples cette parabole »
Pourquoi ce mot préféré à ‘Hyperbole’ ou ‘symbole’ ? Il désigne un langage imagé, qui fait appel à
l’écoute, à la vision, au rêve. En grec, le contraire de symbole est ‘diabole’ (qui donnera diable càd.
diviseur). Dans l’usage courant, nous entendons un acte symbolique comme un fait composé de peu
d’éléments. Le repas de la Cène est symbolique : un rien de pain, un peu de vin… (Cf. : ‘Qu’est-ce que
cela pour tant de monde ?’ R./ : ‘Donnez-leur à manger (quoi ?) : vous-mêmes’) mais le support réel
d’un grand projet.
Parler en paraboles : ouvrir l’imaginaire par le langage. (Voir le semeur semant… voir le grain
poussant… voir les oiseaux dans l’arbre, donner un nom aux oiseaux quand l’arbre devient Dieu qui
rassemble…) Depuis ce qui est vu et entendu, puis compris, il faut déduire une compréhension (de
qui est Dieu) et un passage à l’acte. La parabole laisse du choix à l’écoutant, au ‘récepteur’. Mais
parfois, comme, à propos de la parabole du Semeur dans les évangiles dit synoptiques, le texte
originel, rapporté de mémoire, est réinterprété par les auteurs de l’écrit et leur église. Ainsi, il
devient difficile de ‘voir’ que la parabole parlait de la générosité de Dieu qui sème à tout vent (mieux
que Larousse !) sans chercher d’abord un résultat. La tradition nous a fait dévier sur la qualité de la
terre et attire l’attention sur une sanction possible. Jésus est ‘vu’ comme le semeur qui répand sa
parole, une parole formalisée par l’Autorité de l’Eglise…
Comment inventer en catéchèse un parler en paraboles…
— Marc Scheerens.
Episode 3 – Comme on gâche le mortier…
Mots gâchés (3)
Donc, le repas de la Cène est un agir symbolique (« symbolov en grec) en conséquence, dans l’interprétation,
le « dialolov » (en grec) n’est jamais loin…
‘Il est grand le mystère de la foi’
Et la réponse : ‘Nous proclamons ta mort, Seigneur Jésus. Nous célébrons ta résurrection et nous
attendons ta venue dans la gloire !’ Et non pas ‘Christ reviendra’ comme dans l’hymne de Littelton.
En effet, c’est l’humanité entière qui est en chemin de ‘christification’, comme le suggérait Teilhard
de Chardin. Est devenu Christ (Jésus) ou du Christ (nous) celui, celle, qui a reçu l’onction ultime, le
passage par la mort pour s’accomplir en Dieu. Nous célébrons en effet la foi dans l’avenir qu’elle
nous promet : ne sommes-nous pas déjà le ‘Corps du Christ’, qui n’arrête pas de naître ?
Qui pourrait expliquer pourquoi le mot mystère n’ a pas été rendu par son équivalent
latin : ‘sacrement’. Sans doute nous pourrions y voir le culte du ‘mystérieux’ pour l’échange
admirable : non plus Jésus, né de Dieu, fait Homme, mais lu dans la transformation ou
transsubstantiation du pain et du vin en motifs adorables par l’énoncé du prêtre ‘sur les espèces’. Le
support philosophique (Platon) à la base de cette formulation n’est plus le nôtre aujourd’hui. Il nous
reste la déviance à laquelle il a conduit. Il faut donc entendre : ‘Il est grand le sacrement de la foi’.
Jésus nous laisse en partant la promesse et le signe de ce que nous serons, comme lui, ressuscités. En
mangeant le pain et en buvant le vin, nous en prenons déjà le chemin.
Le baptême (première ‘onction’) est plongeon dans la mort avec Jésus. L’eucharistie (prière du merci)
n’est pas une hostie mais l’adhésion au projet de Dieu pour les Humains. C’est l’acte de foi en notre
devenir. Si, par l’acte liturgique sacramentel, les chrétiens deviennent ensemble ‘Corps du Christ’, ils
ont ‘l’obligation (relative) de vivre comme il a vécu, de faire ce qu’il a fait et par la foi, ils en reçoivent
la force. A eux de rester branchés sur le projet énoncé et manifesté dans l’acte qui fait mémoire de
lui.
Dans le vocabulaire biblique, la mémoire n’est pas le souvenir du passé. Il invite à comprendre que ce
qui s’est passé une fois me concerne. Cela se passe une fois parce que Dieu est sans passé ni avenir :
il est ! Pour lui, hier aujourd’hui et demain, c’est maintenant. Lors du repas du ‘sheder’ (la pâque
juive) le plus jeune de l’assemblée de l’assemblée demande au plus ancien ( qui donne en
français : prêtre) : ‘Pourquoi sommes-nous ici ce soir ?’ et l’ancien lui répond par un récit : ‘Mon père
était araméen errant et Dieu l’a libéré à main forte et bras étendu’, allusion à la sortie
d’Egypte…comme si c’était hier ! Il faut comprendre que faire mémoire signifie que nous sommes
déjà présents et partie prenante d’un acte de libération. Cet acte a été fait pour nous et ne se refait
pas. En d’autres mots encore : nous sommes-là quand Jésus ‘signe’ de son Nom le pain et le vin. Le
président de l’assemblée actualise mais ne refait pas.
Il faudrait utiliser cette juste compréhension quand nous préparons un jeudi-saint ‘enfants admis’. Il
faudrait l’utiliser licitement quand, dans cette période d’exclusion du culte par les Autorités civiles et
religieuses, nous sommes amenés à rompre le pain dans nos maisons. Pour se donner lui-même,
Jésus n’a pas besoin d’un recours à l’acte magique de paroles performantes prononcées sur le pain et
le vin.
Anecdote : dans une église baroque, un prêtre tout petit et comme fondu dans un immense autel
(remplaçant abusivement la Table), dos au peuple, prononce les paroles sacrales dans des vapeurs
d’encens et le bruit de sonnailles. Un enfant murmure à son père : ‘Papa, il fait quoi le monsieur ?’.
Le père lui répond : ‘Il fait hocus pocus !’ Cette réponse mélange les sons de ‘Hoc est enim corpus
meum…’ et de ‘Hic est enim potus sanguinis mei…’. Ainsi disparait le sens au profit de la formule magique de transformation qui sera reprise par les magiciens de théâtre. Il en reste quelque chose
dans la pratique d’aujourd’hui…
— Marc Scheerens.
Episode 4a . Carême ou quarantaine ?
Mots gâchés 4a. Ce mélange qui fait le mortier de nos croyances…
Une fois de plus (30, 40, 50, 60, 70 X déjà ?) nous nous préparons à l’abstinence et à la retenue pour obtenir le pardon de Dieu au cas où surviendrait la mort. Comment ce temps de pénitence (En latin, ‘le temps du regret’) s’est-il imposé comme une pratique nécessaire ? Cette pratique annuelle nous aide-t-elle à être des meilleurs témoins de la nouveauté (bonne nouvelle) apportée par Jésus de Nazareth, le témoin fidèle ? La ‘quarantaine’ est un mécanisme de protection sociale que nous expérimentons depuis un an à cause d’un virus incontrôlé. Comment cette sanction et sa force de protection est-elle devenue obligation en christianisme ?
Baptême et réintégration
« Vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous êtes morts au péché, vivants en Dieu une fois pour toutes.» Paul, le premier théologien du christianisme, débutait ses lettres en saluant ‘la communauté des saints qui est à… (Corinthe, Philippe, à Salonique…)’. En effet, un baptisé est revêtu de la sainteté qui n’appartient pourtant à Dieu seul (Cf. dans le rite : le vêtement blanc) et donc, selon ce principe, il ne pèche plus ! Les baptisés en Christ témoignent de l’avenir promis à tout humain (la résurrection) en étant assidus à la prière, à l’apprentissage du contenu du message pratique laissé par Jésus et ses premiers témoins, accompagnés d’un partage des biens. Puisque tous sont appelés à rencontrer Dieu tel qu’il est, le bonheur n’est pas dans la possession des biens mais dans la justice et l’équité, dès maintenant, puisque à la mort nous serons tous traités de la même façon par un Père bienveillant. C’est un idéal élevé. Dès le début, les actes (AA. 4, 32 +)) relatent qu’il y a eu des fraudes. Puis, selon ce que rapporte l’Histoire, des baptisés ont renoncé à cette pratique chrétienne de la vie orientée par sa finalité, à cause des persécutions. Dans les périodes d’accalmie (quand le pouvoir en place était plus tolérant), certains voulaient revenir à cette foi, à cette conception du sens de la vie. En même temps, une organisation se mettait en place pour relier les différentes ‘communion des saints’ et assurer la cohérence du contenu du message reçu. Guidée par la conviction que Dieu est pardon et miséricorde, l’Eglise en formation met au point un ‘second baptême’, une seconde chance en quelque sorte. Comme le baptême est unique et engageant, le second baptême sera lui aussi unique : il ne pourra exister qu’une seule ‘réintégration’. Comprenons ce qui est signifié : est excommunié celui ou celle qui met en péril la vérification, par une pratique sociale nouvelle, du contenu du message (la foi en la résurrection), soit par fraude soit par la peur de mourir dans les jeux du cirque. Pour réintégrer la ‘communion’ et sa pratique, est mis en place un regret publique de quarante jours sur ‘le sac et la cendre’. Il faut encore nous souvenir que le baptême n’était conféré qu’une fois par an, lors de la fête de Pâques, mais après un catéchuménat et des scrutins qui permettaient aux membres de la ‘communion locale’ de dire oui ou non. Oui, il pratique avec nous la charité et l’annonce ! Non, il n’y est pas encore ! Avec ce bref aperçu, il est permis de questionner l’actuelle pratique du baptême de masse. Et c’est bien le ‘second baptême’ qui est devenu notre carême.
De la grande pénitencerie à la confession
En une page, il n’est pas possible de détailler les étapes qui ont conduit à la situation actuelle. En simplifiant, il apparaît que le comportement qui était incompatible avec l’annonce du message (la résurrection et sa conséquence pratique, la justice pour tous) est devenu une généralisation arbitraire : tout humain est pécheur quoiqu’il fasse ! Il ne survivra, il ne se sauvera, que par des rites de pardon présidés par un prêtre. Si, au commencement, il y avait aveu devant la communauté, volonté affirmée de réparer la faute commise puis réintégration (une fois !) avec St-Thomas (1225-1274), la pratique de la pénitence devient : aveu au prêtre, absolution par le prêtre, puis ‘pénitence’ sous forme de ‘pater’ ou d’ ‘ave’ à réciter. (Notons qu’il existait d’autres sanctions possibles comme un pèlerinage ou une participation en argent aux œuvres de miséricorde). Ce n’est donc plus la mise en danger de la cohérence, entre le contenu du message et la pratique sociale qui en découlerait, qui est sanctionnée. C’est le besoin très individualiste et personnel de sauver son âme pour bénéficier de la vie éternelle. Tous les ans chaque baptisé est convié à se conformer à l’état de ‘pécheur depuis le sein de sa mère’. Or l’humain a le droit de se tromper. Il peut commettre une faute de jugement qui entraîne une conséquence mauvaise inattendue. Avec le catalogue des péchés, toute faute est devenue péché et tout péché doit être confessé à un prêtre seul habilité à dire : « Que notre Père vous montre sa miséricorde. Par la passion du Christ, il a réconcilié le Monde avec lui et il a envoyé l’Esprit-Saint pour la rémission des péchés ; par le ministère de l’Eglise qu’il vous donne le pardon et la paix. » ‘Péché mortel toujours confessera et tout péché au moins une fois l’an’. Le sens des mots s’est perdu : la confession n’est plus une confession de foi mais l’aveu d’une faute ; la pénitence n’est plus le regret précédent réparation mais la prière personnelle conclusive (3 pater…)
Le premier confesseur d’un mari, c’est sa femme et l’inverse vaut aussi. Confesser en action de grâce (eucharistie) la beauté de tout amour humain sincère et la joie de vivre en couple. Par la parole et l’échange se redonner les chances nécessaires pour affronter les tempêtes extérieures et intérieures avec paix et sérénité. En ce temps de quarantaine, oublier le sac et la cendre pour aimer son corps, la maison du moi, et en prendre un soin particulier en vue de la résurrection attendue et espérée (onction de Béthanie dans Mc 14,8), inventer un rite nouveau. – A suivre…
Episode 4bis. Se mettre en quarantaine obligatoire
Mots gâchés 4bis Le liant de nos pratiques
Le chemin vers le baptême, au commencement de la mise en place du ‘Mouvement Jésus’ dont les membres se désignaient comme ‘Adeptes de la Voie’, était rigoureux. Le demandeur recevait de la ‘Communion’, qu’il voulait rejoindre, un parrain ou une marraine (suivant qu’il fut homme ou femme), qui allait lui livrer le contenu de la ‘Voie’ et ses conséquences pratiques. C’était le temps de la traditio. La nuit de Pâques viendrait le temps de la reditio : rendre à la l’assemblée ce qui avait été reçu pour agir avec elle. Comme il s’agissait de se différencier, par la pratique et le contenu d’une foi, des autres mouvements existants, l’exigence de vérité était importante. Quand les Pâques au cours desquelles le candidat serait intégré à l’assemblée approchaient, la dernière préparation prend corps (dans tous les sens du mot !). C’est l’entrée en quarantaine (modèle biblique : 40 jours, le temps nécessaire à une adhésion et une conversion). Une quarantaine de vérification, dans le jeûne et la prière.
Le contenu de la préparation s’est fixé : passer du baptême de Jean au Jourdain (échapper à la colère qui vient) au baptême de Jésus (recevoir en cadeau la vie éternelle en ‘plongeant’ dans la mort avec Jésus).
Les étapes : Jésus est mis à l’épreuve dans le désert ou comment refuser d’utiliser la foi en Dieu pour briller devant les hommes – Jésus est transfiguré vs Jésus défiguré par la croix – L’entretien avec la samaritaine : l’eau qui nourrit la vie est une source intérieure qui dépasse les pratiques religieuses (de Samarie ou de Jérusalem) – Le récit de la guérison d’un aveugle : d’où vient cette eau qui lave son regard et lui donne de voir et de confesser qui est Jésus ? – Le relèvement de Lazare, ultime catéchèse sur le sens du passage par la mort où Jésus rend à Marthe et Marie un Lazare ‘ressuscité’. Après cet enseignement/approfondissement, il y aura une semaine sainte. Un catéchumène ne participe pas à la Cène, qui est un moment liturgique ‘réservés aux saints’, càd. aux baptisés. Il pourra méditer la ‘passion’ le vendredi puis se présenter, dans la nuit du samedi, à la cuve baptismale, conduit par son parrain ou sa marraine. Ceux-ci acquièrent alors un rôle liturgique : derrière un voile déshabiller (tout un symbole) le catéchumène pour le plonger nu et totalement dans la cuve pendant qu’il entend la voix d’un diacre, derrière voile, dire : ‘X ou Y, tu es plongé dans la mort (expérimentée par la noyade) avec Jésus pour ressusciter avec lui, baptisé au Nom du Père, du Fils et du St-Esprit’. Au sortir de la cuve, le baptisé est rhabillé d’un vêtement blanc (revêtu du Christ pour confesser le Christ) et, dans cette nuit, reçoit un cierge allumé : vaincre les ténèbres en annonçant la résurrection. Le cortège des baptisés processionne du baptistère pour entrer dans l’assemblée ecclésiale. Cette assemblée est à son tour illuminée par ce cortège et renouvelle son adhésion en professant la foi de l’Eglise, pendant que les nouveaux baptisés s’agenouillent aux pieds de l’évêque pour être confirmés, càd. : rendus forts (firmare cum Spiritu Santo) pour participer à l’annonce et à la mission de toute l’Eglise. La liturgie étant un conservatoire des habitudes, nous en retrouvons des traces dans nos pratiques rituelles où tout s’est affadi. Le recours à l’histoire du sacrement devrait nous autoriser une critique constructive de tant de vieilles habitudes.
Quand la pratique religieuse a supplanté la foi, pour jouer son rôle, l’Eglise a adouci les normes d’adhésion. Il devenait évident que la masse des chrétiens obligés devait être guidée fortement et qu’un carême imposé à tous les rapprocherait (supposition !) des exigences d’un mode de vie lié au baptême. Le baptême étant redevenu un acte de purification pour échapper aux enfers, se présenter comme pécheurs repentants préservait de la damnation. La catéchèse des catéchumènes est redonnée à tous magistralement chaque année (Anne A de nos lectionnaires) par la liturgie mais il n’y a plus le dialogue constructif entre candidat et parrain. Le sac et la cendre (état de pécheur public) deviennent une croix noir sur le front, imposée par un prêtre. Faut-il rappeler que les cendres étaient faites des buis donné aux ‘rameaux’ de l’année précédente, brûlés, signe d’un aboutissement et d’un recommencement obligé de ce chemin qui maintient le pécheur dans l’état de pécheur ? Où serait alors la joie pascale écrite par St Paul : « Vous tous et vous toutes qui avez été baptisées en Christ, c’est dans sa mort que vous avez été baptisés. Baptisés dans sa mort, morts au péché, mais vivant en Dieu une fois pour toutes !…Menez donc une vie digne de la grâce (=don gratuit) que vous avez reçue ».
L’Eglise jouant aussi un rôle politique et social, les différentes interdictions liées au carême (la chasse, la guerre, la relation sexuelle, …) pouvaient guider vers un apaisement des mœurs par des pratiques non-violentes, tout comme le jeûne pouvait aider à accepter la faim chez les plus pauvres (une période de disette entre l’épuisement des réserves avant l’hiver et l’attente des nouvelles ressources alimentaires du printemps). Le jeûne et la prière ne se suffisent pas à eux-mêmes comme actes de dévotion salutaire : il faut ajouter l’aumône. Mais, en toute logique, le partage devrait suivre le carême puisque le signe qu’on vit déjà en ressuscités virtuels est la mise en commun des bien (Ac. 2,42-44). Tout ceci est brossé à gros traits : une invitation au lecteur de vérifier et de fonder ce propos.